Baisse des logements à louer, fraudes, manque de fiabilité : la Cour des comptes étrille la réforme improvisée du DPE

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Dans un rapport au vitriol publié ce mardi, les sages de la rue Cambon pointent l’absence d’études d’impact préalables à la réforme de 2021 qui a des conséquences lourdes pour le marché de l’immobilier.

C’est un rapport de la Cour des comptes qui va mettre du baume au cœur à tous les Français qui pestent contre le fameux diagnostic de performance énergétique (DPE), devenu en 2021 le point de passage obligé de l’immobilier.

Alors que les logements classés G sont frappés d’interdiction de location depuis le 1er janvier 2025, les sages de la rue Cambon ont souhaité «analyser la capacité de l’État à garantir la mise en œuvre du DPE et des nouveaux critères de décence énergétique des logements par un processus fiable, transparent et équitable, accessible à tous, et à contrôler les risques associés», sur la période allant de 2021 à 2024. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’ils ont déchanté.

Aucune étude d’impact

Sans le nommer, la Cour de comptes reproche au gouvernement Castex d’avoir réformé le DPE en 2021, lui donnant un poids considérable – en le rendant opposable et en l’adossant à une interdiction de louer- sans prendre la mesure des conséquences en chaîne de telles décisions. Car, «aucune étude d’impact globale préalable n’a été réalisée par l’administration sur les effets de la réforme de la transformation législative du DPE en 2021», déplore les sages de la rue Cambon. Lesquels étrillent cette manière de faire pour le moins inquiétante : «D’un simple objet réglementaire technique à vocation informative, le DPE s’est dès lors, dans les faits, transformé en outil stratégique et politique aux conséquences majeures pour les particuliers et pour le régime de la propriété sans que les conséquences de cette transformation et de son calendrier de réalisation n’aient été clairement mesurées, notamment en termes de risque d’éviction, même temporaire, de logements du parc locatif». Reprenant une étude de Se Loger, ils enfoncent le clou : entre mi-2021 et mi-2023, le stock de biens à louer aurait baissé de 22 % pour les logements classés de A à D (les mieux notés), tandis qu’il chutait de 33 % pour les logements classés F et G. Ces retraits du marché de la location ont compliqué la tâche, déjà difficile, des Français à la recherche d’un bien à louer. Les magistrats de la rue Cambon pointent aussi la baisse de valeur des logements à la vente selon leur étiquette.

Et s’il n’y avait que cela. Alors que le diagnostic de performance énergétique devenait donc en France l’alpha et l’oméga de l’immobilier, on s’est aussi assez peu préoccupé de sa fiabilité. Jusqu’à passer à côté d’anomalies pourtant évidentes et qu’il convenait de corriger. «Le législateur n’a prévu aucune limite légale au nombre de DPE pouvant être réalisés pour un même bien, ni aucune règle quant à la primauté d’un DPE sur un autre», soulignent, non sans ironie, les sages de la rue Cambon. Le vendeur d’un bien immobilier peut donc multiplier les diagnostics à loisir «jusqu’à obtenir un DPE satisfaisant», voire de complaisance. Certains le font sans vergogne. Il suffit pour s’en convaincre d’observer la curieuse courbe de répartition des DPE, jalonnée de pics à la limite du D, du E et du F.

Voilà pour les petits et grands arrangements sur des DPE devenus opposables … Ces pratiques pourraient déboucher sur des contentieux de plus en plus importants, portés par des acheteurs lésés. Le secteur de l’assurance, non consulté en 2021, est en pleine recomposition, les primes étant devenues trop insuffisantes pour couvrir les sinistres. «MMA qui était le principal assureur sur le marché s’est délesté au 1er janvier 2023 de tous ses contrats d’assurance conclus avec les diagnostiqueurs de DPE ; Allianz s’est désengagé également, laissant AXA en position quasi monopolistique», souligne le rapport de la Cour.

Le poids de chaque paramètre du DPE n’est pas connu

À ces fraudes, il convient d’ajouter les difficultés liées à la nouvelle méthode de calcul dite «3CL-DPE 2021» imposée aux diagnostiqueurs à partir de juillet 2021. En prenant en compte toutes les caractéristiques du logement (murs, mode de chauffage, isolation ou non des fenêtres, orientation du logement, environnement direct avec les locaux chauffés ou non, etc), le nouveau mode de calcul a le mérite d’objectiver la performance énergétique qui était évaluée auparavant sur la base des factures d’énergie du logement, somme toute assez peu représentatives. Ce logiciel est toutefois une boîte noire pour nombre de professionnels, y compris pour la Direction de l’habitat, de l’urbanisme et des paysages (DHUP) et l’Agence de la transition écologique (Ademe), pourtant censées le maîtriser et en connaître tous les secrets. On apprend ainsi dans le rapport qu’une étude paramétrique a été lancée à l’automne 2024 pour «déterminer le poids de chaque paramètre sur la note finale» du logement. Voilà qui n’est guère rassurant. De même quand on lit qu’un seul fonctionnaire – ou «un équivalent temps plein»- pilote l’observatoire des DPE, la base de données de l’Ademe sur laquelle sont enregistrés les millions de diagnostics réalisés chaque année. L’essentiel de la gestion est confié à des sous-traitants.

Quant aux Français, ils peinent à s’y retrouver, une fois obtenu ce fameux diagnostic de performance énergétique. «Les propositions de travaux de rénovation énergétique, qui peuvent figurer dans le DPE, sont généralement rédigées de façon sommaire. Elles ne contiennent en effet ni descriptif précis de ce qui est attendu pour améliorer la catégorie de classement, ni élément sur les coûts induits ou sur les aides publiques mobilisables», estime la Cour des comptes. En revanche, que vous ayez une maison ou un appartement, que vous viviez en ville ou à la campagne, que l’installation soit possible ou non, vous n’échapperez pas à la recommandation de pompe à chaleur… L’articulation avec le diagnostic technique global – le DPE des copropriétés- est au moins aussi difficile à appréhender. De même pour ce qui est du maquis des aides proposées. Les atermoiements ne se comptent plus autour de MaPrimeRenov.

Le gouvernement se démène

Au regard des constats de la Cour des comptes, le gouvernement actuel a du pain sur la planche. Il se démène depuis des mois alors que l’interdiction de location frappera début 2028 les logements étiquetés F et que la rénovation énergétique que le DPE était censé doper n’avance pas aussi vite que voulu. L’an dernier, la méthode de calcul du DPE a été modifiée pour ne pas pénaliser les «petites surfaces», inférieures à 40 m². Un renforcement de la formation des diagnostiqueurs a aussi été mis en œuvre.

Voyant approcher à grand pas la publication du rapport de la Cour des comptes, la ministre du Logement, Valérie Létard, a pris les devants en mars, faisant une série d’annonces choc : recours à l’IA pour détecter les DPE erronés, création d’un ordre des diagnostiqueurs, sanctions plus lourdes pour les diagnostiqueurs fraudeurs, contrôle plus important des organismes qui certifient les compétences des diagnostiqueurs tout en dispensant aussi les formations dans un curieux mélange des genres, création d’une formation initiale post-bac, etc. En reprenant beaucoup des préconisations de la Cour des comptes, Valérie Létard entendait restaurer la confiance dans le diagnostic de performance énergétique. Le rapport publié par la Cour des comptes aura probablement l’effet inverse. Le DPE va rester un repoussoir.

Source Figaro immobilier

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